da l'Umanitè
Exclusif. Le premier tour a marqué pour le Front de gauche le franchissement d’une étape en obtenant avec 11,1 % le score à deux chiffres visé en début de campagne. Qui sont ces électeurs ? Comment la campagne de Mélenchon a-t-elle été reçue par les catégories populaires ? Une étude de l’institut CSA pour l’Humanité aide à mieux comprendre la composition de cet électorat.
Un électorat actif
En regardant la sociologie de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, ce qui saute d’abord aux yeux est sa composition très majoritairement faite d’actifs. En se penchant sur les résultats par classe d’âge, la différence est très nette entre les électeurs en âge de travailler, parmi lesquels il réalise des scores conformes ou supérieurs à sa moyenne nationale, et les retraités chez qui, avec 8 % seulement des plus de 65 ans, il obtient des résultats nettement inférieurs.
Cette constatation d’un électorat actif est confirmée par l’étude du vote par catégorie socioprofessionnelle. Le candidat du Front de gauche réalise ses meilleurs scores parmi les employés et les ouvriers (respectivement 12 et 14 %). Yves-Marie Cann, directeur d’études au département opinion de l’institut CSA, y voit un signe que « la stratégie mise en œuvre par Jean-Luc Mélenchon au cours des derniers mois, en contestant à Marine Le Pen la mainmise sur le vote ouvrier, a porté ses fruits. Il a en tout cas été entendu par une partie des classes populaires qui ont voté pour lui à un niveau légèrement supérieur à la moyenne nationale ». Cela n’était pas acquis d’avance : en début de campagne, les études attribuaient au Front de gauche de meilleurs scores parmi les catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP +) que parmi les catégories populaires.
Pour autant, Jean-Luc Mélenchon arrive aussi à attirer sur sa candidature des catégories qui ne lui sont pas naturellement acquises, parmi les CSP +, où il se situe à 11 %. Il y obtient son meilleur score, avec 14 % chez les professions intermédiaires.
Des jeunes plus convaincus que la moyenne
L’électorat de Jean-Luc Mélenchon est sensiblement plus jeune que la moyenne de l’électorat. Son meilleur résultat se trouve chez les 18-24 ans avec 16 % des suffrages, soit un score de 5 points supérieur à sa moyenne nationale. Yves-Marie Cann y voit un phénomène important : « On a pu noter tout au long de la campagne que cette catégorie d’âge apparaissait dans les enquêtes très peu mobilisée, avec un fort potentiel d’abstention au premier tour ou une tentation du vote protestataire avec une tension entre un vote autoritaire, anti-universaliste, incarné par Marine Le Pen, et un vote qui, tout en conservant un caractère protestataire, paraissait beaucoup plus humaniste, incarné par Jean-Luc Mélenchon. À la lecture de cette étude, on note que ce dernier a su capter une proportion significative du vote des jeunes. »
Un vote qui reste cependant volatile : « C’est un électorat qui est en cours de socialisation, d’affiliation politique, explique le directeur d’études de CSA. Ce score est très encourageant mais il va falloir engager un processus de fidélisation au cours des prochains mois. »
Transformer l’essai
Un électorat du Front de gauche s’est-il durablement constitué à l’occasion de cette élection présidentielle ? Pour Yves-Marie Cann, « il faut encore transformer l’essai ». En ligne de mire : les élections législatives de juin. On sait par expérience que la participation y est traditionnellement plus faible que pour une élection présidentielle et que l’on y note une déperdition particulièrement élevée parmi l’électorat le plus jeune. La mission du Front de gauche consiste donc maintenant à remobiliser et à fidéliser à cette occasion les électeurs d’avril. Pour Yves-Marie Cann, le Front de gauche a de bonnes bases pour y parvenir : « L’élection présidentielle reste le scrutin mère du système politique français. Elle permet d’établir un rapport de forces qui influence le déroulé des cinq années suivantes. Avoir aujourd’hui un leader et une force politique avec un score à deux chiffres va permettre de peser sur le cours des prochaines années, surtout dans le cas d’une alternance.».
Sondage exclusif CSA/l’Humanité réalisé en ligne le 22 avril 2012. Échantillon national représentatif de 5 969 personnes âgées de 18 ans et plus inscrites sur les listes électorales, constitué d’après la méthode des quotas : sexe, âge, profession de la personne interrogée et après stratifi cation par région et catégorie d’agglomération. Le vote des catégories populaires est établi sur la base du vote des ouvriers et des employés, et des anciens ouvriers et employés à la retraite, soit 2014 invidus.
Mélenchon encaisse l’addition de 2007 en 2012. Un regard attentif des reports de voix entre 2007 et 2012 réserve quelques surprises. Pas du côté des communistes, l’électorat de Marie-George Buffet s’étant « massivement rassemblé » (80 %) autour du Front de gauche en 2012, note l’étude. Ni de celui d’Olivier Besancenot, qui a boudé la candidature Poutou pour se reporter, à 40 %, sur celle de Mélenchon. À la marge, l’électorat FN (3 %) et UMP (2 %) a également choisi le Front de gauche. Ce qui « interpelle », note Yves-Marie Cann. Le report de 10 % d’électorat de François Bayrou : un « glissement » rendu possible car le bulletin Bayrou en 2007 était perçu « comme une candidature antisystème » : « Il y avait une composante protestataire dans ce vote. ». De même pour les électeurs de Ségolène Royal, dont 12 % se sont reportés sur Jean-Luc Mélenchon, sans perte pour François Hollande, qui reste « à un niveau supérieur » à celui atteint par la candidate PS en 2007.